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LA LETTRE BLEUE
(Chaque matin, une citation commentée par Lucia Canovi)


 

13 août 2006

La différence entre les rêves et les rêves

En réponse à un commentaire d'Eipho...

Le mot "rêve" est d'une richesse sémantique telle, qu'il peut désigner deux choses radicalement différentes, voire opposées.

Il y a les rêves qui constituent une fuite hors de la réalité, un refus de la réalité - c'est par exemple la rêverie amoureuse qui consiste à s'imaginer que celui qui nous plaît sera un jour à nos pieds, quand bien même il ne montre aucune disposition dans ce sens. Ce peut-être aussi la rêverie ambitieuse, qui consiste à s'imaginer qu'un jour... on sera riche et célèbre grâce à un talent de violloncelliste remarquable, alors même qu'on n'a jamais touché un violon.

Tous les jeux vidéos, les films de fiction, les romans... poussent à développer ce type de rêverie, à ce visualiser en héros d'histoires imaginaires, rêverie qui est très agréable, qui développe certainement une vie intérieure très riche, mais qui - si l'on se situe du point de vue de l'intérêt de la personne au long terme - est assez nuisible.
En effet, il y a toujours un moment où se retrouve confronté à cette réalité qu'on refuse, et le choc ou la chute est d'autant plus rude qu'on a cru à ses rêves : ça fait mal.

De plus, on peut être tenté, pour vivre dans la vraie vie toutes les rêveries qu'on a couvées en soi, de se lancer dans des aventures destructrices mais romanesques, et de chercher dans la vie réelle un piquant qui pique vraiment... et se déchirer à des ronces bien réelles dans ce processus.

Mais il y a aussi d'autres rêves tout différents, qui eux n'éloignent pas de la réalité, mais au contraire s'y projettent : ce sont des visions autant que des rêves. Ces rêves-là naissent d'une perception juste de la réalité environnante, et d'une vision qui ne s'arrête pas seulement à ce qui est, mais qui va au-delà, pour regarder ce qui peut être.

Le entrepreneurs qui regardent un paysage ne voient pas seulement les maisons construites, les fermes qui sont déjà là, mais aussi les maisons et les fermes qui pourraient exister.

Il ne s'agit de "rêves" que dans la mesure où ils ne collent pas encore à la réalité présente... mais au fond, ce sont plutôt des images mentales d'un futur possible. Sans ces images, personne n'aurait jamais inventé quoique ce soit : pour se lancer dans la fabrication d'une ampoule électrique, il faut avoir vu (avec les yeux de ses rêves) une telle ampoule.

Tout projet demande ce type de rêve, de projection - et l'on sait bien que les sportifs de haut niveau la pratiquent pour améliorer leurs performances : ils se visualisent en train de battre leurs records, et cette image d'un futur possible le tire vers ce futur, jusqu'à ce qu'il devienne une réalité.

On ne s'investit que dans ce qu'on croit possible, et on ne croit possible que ce qu'on peut voir les yeux fermés, sur son écran mental.

Les rêves de la première catégorie (rêves-fantasmes) rendent, quand on s'y adonne intensément, quasiment inapte à la vie réelle qui parait en comparaison terne et difficile. Ils proposent un univers parallèle où tout est facile, intéressant, excitant... et si on s'y plonge avec délice, on aura ensuite beaucoup de mal à faire le retour vers la réalité, qui elle est toujours un peu rugueuse et amère.
Les accros de jeux vidéos se retrouvent souvent prisonniers de l'univers virtuel où ils triomphent en héros, et en comparaison duquel la vie réelle ne leur propose qu'un rôle médiocre - d'autant plus médiocre et inintéressant, qu'ils ne s'y investissent pas...

Les rêves de la deuxième catégorie (rêves-projets) ont un effet exactement inverse : ils poussent à s'investir dans la réalité, à l'étudier, la comprendre, à y habiter. C'est par eux qu'on a prise sur le monde.

La différence entre les rêves-fantasmes et les rêves-projets est un peu celle qui existe entre des arbres célestes enracinés dans les nuages - autrement dit, des mirages - et les graines minuscules qui germent invisiblement dans le sol.
Les mirages ne deviendront jamais des réalités, mais avec le temps, les graines deviennent des arbres immenses.

"Le gland d'aujourd'hui est le chêne de demain" (D. Icke)

Choisir, c'est faire confiance ; faire confiance, c'est choisir. S'engloutir dans les fantasmes, c'est choisir l'illusion et lui faire confiance... et plus de temps on passe en sa compagnie, plus la réalité parait incompréhensible, étrange et répugnante. Au final, c'est le rêve qu'on finit par prendre pour la réalité, et la réalité qu'on prend pour un rêve.

Autre différence entre les rêves-fantasmes et les rêves-projets : les rêves-fantasmes encouragent le farniente, l'indolence et l'apathie ; les rêves-projets poussent à l'action.