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LA LETTRE BLEUE
(Chaque matin, une citation commentée par Lucia Canovi)


 

09 septembre 2006

La monarchie absolue de Blabla

Lorsqu'on compare ce qui s'écrit dans les journaux et les livres aujourd'hui, à ce qui s'écrivait il y a une trentaine ou une cinquantaine d'années (disons avant les années 70), on éprouve souvent une espèce d'étonnement.

Il y a dans les écrits de ce passé pas si lointain, un quelque chose de différent. De plus frais, de plus vivant... ils dégagent une espèce de parfum vert... - en fait, en eux-mêmes ils n'ont rien de si extraordinaires, mais nous sommes habitués à des écrits tellement fades, tellement insignifiants, que par comparaison ceux de ce passé proche paraissent presque géniaux, car ils disent quelque chose.

L'ère post-moderne (maintenant) est celle du Blabla.
Nos démocraties ont un roi, un monarque absolu : Blabla.
Nos journalistes ont un idéal stylistique et idéologique : Blabla.
Nos intellectuels ont un maître à ne pas penser : Blabla.

Et le silence lui-même recule, désappointé, devant les attaques du grand conquérant : Blabla.

Voici un petit texte (prophétique ?) datant d'une centaine d'années, plus ou moins :

"Comment affaiblir la pensée publique par la critique, comment lui faire perdre sa puissance de raisonnement, celle qui engendre l'opposition, et comment distraire l'esprit public par une phraséologie dépourvue de sens ?...
De tout temps, les nations, comme les individus, on prit les mots pour des actes. Satisfaits de ce qu'ils entendent, ils remarquent rarement si la promesse a été vraiment tenue...
Pour s'assurer l'opinion publique, il faut tout d'abord l'embrouiller complètement en lui faisant entendre de tous côtés et de toutes manières des opinions contradictoires, jusqu'à ce que les gens soient perdus dans ce labyrinthe."

Phraséologie dépourvue de sens : voici une excellente définition du blabla. Pour "affaiblir la pensée" et "faire perdre la puissance de raisonnement", le blabla est la meilleur des méthodes.

En effet, à la différence du mensonge pur et simple, qui reste détectable et dénonçable, le blabla présente une surface lisse. Il est très difficile de lui répondre (puisqu'il ne dit rien) et impossible de le réfuter (puisqu'il ne dit toujours rien). Et pourtant, ce vide est efficace - aussi efficace que peut l'être la chute régulière d'une goutte d'eau sur le même point du même rocher : l'eau finit par vaincre, et creuser, le rocher.

De même, le blabla agit d'une manière discrète, pernicieuse, sournoise... et puissante. De sa "phraséologie vide de sens" s'élève progressivement un brouillard où les idées claires et distinctes s'estompent. Peu à peu, par la seule puissances de ces mots sonores qui ne disent rien, l'esprit s'obscurcit, le raisonnement perd sa puissance.

Nous vivons sous la monarchie absolue de Blabla.
ça n'a pas toujours été le cas, et ça ne devrait pas forcément être le cas...

Dans quel monde vivons-nous ?

Le poisson qui n'est jamais sorti de l'eau, ne sait pas qu'il est dans l'eau. De même, lorsqu'on baigne dans une civilisation, on ne la connait pas : sans repères extérieurs, sans points de comparaison, on ne sait pas vraiment dans quel monde on vit, pour y être complètement immergé.

Connaître de l'intérieur seulement, c'est vivre et ressentir mais ce n'est pas connaître - ainsi, une huitre qui n'est jamais sortie de sa coquille n'a aucun moyen de savoir ce qu'est réellement et objectivement sa coquille, n'en ayant jamais connu que la face interne, et n'ayant jamais pu la comparer à aucune autre.

Pour savoir dans quel monde nous vivons, il est nécessaire de le comparer à d'autres, éloignés dans l'espace ou dans le temps.

Les Voyages et l'Histoire servent à cela : comprendre dans quel monde nous vivons actuellement. Car si l'Histoire ne servait qu'à explorer le passé, son intérêt serait bien limité... C'est lorsqu'elle éclaire le présent - par le jeu des comparaisons, le jeu des ressemblances et des différences - qu'elle est plus utile. Pareil pour les voyages : grâce à la confrontation avec des civilisations autres, on peut voir la sienne propre.

Pour se rendre compte que les français sont arrogants, il faut rencontrer d'autres peuples n'ayant pas ce - détestable - trait de caractère. Pour se rendre compte que les français aiment parler, il faut rencontrer d'autres peuples plus mutiques (les danois par exemple).

08 septembre 2006

Un bonheur méconnu

Quand on regarde la télévision, le cinéma, les affiches de pub ou les magazines, on a l'impression que le bonheur c'est...

- le sexe
- la beauté
- l'argent
- une médaille d'or
- les paillettes et la gloire
- l'amour (ah, quand même...)
- la vengeance et un gros flingue
- d'en mettre plein la vue aux voisins, ou aux voisins des voisins.

Et peut-être que là-dedans, il y a bien quelque chose qui est le bonheur, ou du moins, une bonne partie du bonheur (le numéro 5).
Mais il y a un certain genre de bonheur dont il n'est absolument jamais question au cinéma ou à la télévision, un bonheur méconnu et pourtant accessible, qui ne dépend que dans une faible mesure des autres, un bonheur autonome en quelque sorte.

Ce bonheur-là n'est pas apprécié à sa juste valeur... en fait, il n'est même pas côté en bourse, et passe totalement incognito dans le monde. Bonheur secret, humble et profond, disponible à qui le cherche... au bon endroit.

La souffrance qui lui fait face en miroir, la douleur qui est son exact pendant, est bien connue des déprimés :

- Je ne sais plus où j'en suis...
- Tout est confus dans ma tête...
- Je ne comprends pas...
- ça n'a pas de sens...
- C'est le chaos...
- Ce n'est pas clair...

Le contraire de la confusion, c'est la clarté ; le contraire de l'absurde, c'est le sens. Clarté et sens : le voilà, le bonheur méconnu dont personne ne parle, et qui est pourtant si agréable, non à la manière des heures de gloire ou des transes mystiques, mais plutôt comme le pain quotidien tout frais et tout chaud.

Une nourriture simple.

Quel film racontera les aventures palpitantes de Josette, qui après la lecture d'un certain livre a enfin compris... beaucoup de choses sur sa vie ?... ou d'André, qui après de pénibles et longues recherches en librairies, a enfin découvert la vérité qu'il cherchait en vain sur la politique internationale ? ou même de Josiane, qui a repris goût à la vie en lisant le témoignage d'une bordélique comme elle, qui a réussi à sortir du chaos...

Ceux qui aiment lire ont souvent l'intuition qu'un certain livre - un certain livre inconnu - leur apporterait la clef de bien des mystères. Et ce n'est peut-être pas une illusion.

Même si les bibliothéques sont aussi des labyrinthes, où d'idées en idées le Perceval en quête du Graal se perd dans un dédale d'idées pas vraiment vraies... il y a bien quelques trésors - il y a bien un trésor - qui permet d'y voir clair.

Comprendre, est un plaisir.
Découvrir, est un plaisir.
Raisonner, est un plaisir.

Quand deux notions qui étaient restées jusque là isolées se rejoignent enfin, et que la lumière se fait dans le crâne : moment précieux, moment où l'espace mental s'élargit, où "l'horizon d'attente" recule sa limite...

Plus de lumière, c'est plus de liberté.

L'obscurité est dangereuse. Personne n'aime marcher seul dans le noir, au risque de se casser la jambe ou de se faire dévaliser (ou violer) au coin d'une rue encore plus sombre que les autres.
La compréhension agit à la manière des lampadaires : les idées claires permettent d'explorer en toute sécurité les zones les plus reculées.

La logique - la seule "science" qui soit aussi une faculté mentale - n'a pas la côte de nos jours... on pourrait chercher son nom dans beaucoup de journaux, sans la trouver. Les films, les téléfilms, la pub... fait appel aux instincts, aux passions, à l'imaginaire, aux émotions, aux pulsions - pas à la logique.

C'est que cette faculté occultée, méprisée peut-être, est la clef grise, d'apparence terne et banale, qui ouvre la porte de toutes les prisons de l'esprit. Une personne logique, une personne qui cultive sa logique, ne gobe plus les innombrables appâts que les profiteurs en tous genres lui tendent : elle est libre, ou elle devient libre, ou elle est sur le chemin de la liberté.

Lorsque les neurones se réveillent et que la tête se (re)met à fonctionner correctement, l'hypnose commercialo-abrutissante perd tout pouvoir.

Et ça, c'est précisément ce que les marchands de "temps de cerveau disponible" ne veulent pas.

03 septembre 2006

Le livre tabou

Je reprends le sujet abordé dans "Conseils bibliographiques à un apprenti-philosophe"

Le livre dont je parle ici est à la fois très connu, et presque inconnu.
Très connu, car la plupart des gens connaissent son titre ; presque inconnu, car rares sont les personnes à l'avoir lu...

Dans l'esprit de la plupart des gens, ce livre occupe une place à part : situé à l'écart de tous les autres, il est moins considéré comme un livre que comme une ignominie, un quelque chose de monstrueux et de répugnant dont il est bon de rester éloigné, très éloigné.

Qu'on l'accepte ou qu'on s'en défende, la mentalité de chacun est déterminée, conditionnée pour une bonne part par les médias, les livres, les films, la télévision.
Or, le livre tabou en question a été l'objet d'un travail médiatique de longue haleine. Ce qui fait qu'aujourd'hui, le fait même d'en parler ouvertement ou d'en entendre parler peut déclencher stress et méfiance, et le fait de le lire... serait carrément angoissant.

Lire ce livre comme on lit un livre banal, normal, est une mission impossible.

Lire ce livre signifie quelque chose de très négatif sur la personne qui le lit : qu'elle est perverse, mauvaise... ou qu'elle risque fort de le devenir.
Dans ces conditions, comment pourrait-on le lire sereinement ?... Il suffit de le tenir entre ses mains pour se sentir gagner par de graves doutes sur son intégrité morale, et de le feuilleter pour se sentir basculer dans le recoin le le plus obscur du côté obscur de la Force !

Et si je ne cite pas son titre, c'est qu'il suffirait qu'il soit énoncé pour que tout un tas de connotations répugnantes se lève dans l'esprit du lecteur...; et que la personne qui l'évoque (autrement dit moi) se retrouve stigmatisée, marquée du sceau de l'infamie.

La liberté de pensée s'arrête là où l'esprit, impressionné, paralysé par une crainte révérencieuse, superstitieuse, s'arrête.

Les catholiques d'une autre époque - pas si lointaine -, baissaient les yeux devant le Saint Sacrement de l'Eucharistie. Regarder sans ciller cette coupe de métal dorée contenant quelques décilitres de vin rouge et ce bout de pain enzyme aurait été un sacrilège... et donc un stress.

Inversement et symétriquement, de nos jours on détourne les yeux du livre tabou dont je parle.

On ne se rend pas toujours compte (en tout cas moi je ne m'en rendais pas compte) que sa liberté de pensée est limitée par des fils de fer barbelés intérieurs, intériorisé. On ne réalise pas forcément que son esprit recule devant certains sujets, arrêté par une barrière invisible.

Cette barrière invisible a été construite. Ses briques sont des idées.

Car il y a des idées qui dissuadent de penser, des idées qui sont pareilles à de grands panneaux rouges de sens interdit apposés devant certain sujets, certains thèmes... et certains livres.

Si quelqu'un arrivait à faire le lien entre le titre du livre tabou en question et l'évocation que je fais ici des réactions émotionnelles qu'il suscite, cela signifierait probablement qu'il a réussi à les désamorcer, et à arracher de sa tête bon nombre de panneaux de sens interdit, bon nombre de barrières hérissées de fil de fer barbelé...

Mais il est parfois extrêmement difficile de faire un lien entre une réalité et son nom, un mot et sa définition - les médias travaillent tant à créer des réflexes pavloviens, à susciter des réactions émotionnelles purement mécaniques à certains termes (qui y perdent les trois-quarts de leur sens), qu'on n'arrive plus à connecter l'apparence et la substance, le titre et le contenu.

Ce qui fait que ceux qui liront ces lignes, ne vont probablement pas "reconnaitre" le livre dont je parle, et que si par ailleurs ils entendent son titre, ils éprouveront les sentiments-réflexes décrits ci-dessus, sans identifier en tant que telle leur propre réaction de fuite, de colère ou de crainte devant le livre tabou.

Et maintenant, quelques mots sur le contenu de ce livre effrayant.

Ce livre est extrêmement dense. A une époque (la nôtre) où on a perdu l'habitude de la densité, il est difficile à lire - tout en étant parfaitement clair...

Les journeaux, les livres, la télé... nous ont habitué à une bouillie très diluée : beaucoup de mots, peu d'idées. Voire, aucune idée. Notre époque est celle du blabla.

Le livre tabou est l'antithèse exacte de ce à quoi nous sommes habitués : un aliment hautement énergétique, riche en calories. Peu de mots, beaucoup d'idées.
Ces idées sont dérangeantes, surprenantes... et apportent un éclairage froidement cynique et terriblement efficace, sur notre passé et notre présent.