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LA LETTRE BLEUE
(Chaque matin, une citation commentée par Lucia Canovi)


 

13 novembre 2009

Notre monde est pourri

Je ne dirais pas ça sur mon autre blog (Marre de la vie ?), mais il faut bien que je le dise quelque part : notre monde est pourri.

Il n'est pas pourri à l'extérieur, il est pourri du dedans. Et complètement. Je ne le dis pas avec un désespoir joyeux, avec un nihilisme jubilant, mais plutôt comme un constat très triste mais qui doit être fait. Parce que c'est vrai.

Je dis le "nôtre" mais je dois dis que je ne m'en sens ni propriétaire, ni solidaire... Cependant je ne nie pas y être reliée par de nombreux fils. Moins que la plupart des gens, pourtant.

Un mode de vie très calme et très retiré, et surtout une vie consacrée à la connaissance et à la réflexion, me permettent de le voir de loin. Vue panoramique qui n'a rien de réjouissant, même s'il est toujours plus agréable de comprendre que de ne pas comprendre...

Nous vivons dans un monde où le pire est certain.

Et le pire de ce pire, c'est qu'il n'est pas un accident, un dérapage - une "bavure" comme ils disent - mais la conséquence logique de tout le reste. On ne peut pas prétendre que le pire est là par hasard, ou que sa présence est dépourvue de sens. C'est le contraire : le pire est là parce que tout le reste le rend possible. Le pire est là parce que, compte tenu des circonstances, il doit être là.

Dans nos vices modernes, dans nos mensonges modernes, dans nos errements modernes, se trouve tout ce qu'il faut pour que, ailleurs (mais pas très loin), d'une manière cachée (mais pas si cachée que ça), des gens se permettent de faire des choses inimaginables sur d'autres gens, sur des innocents dont la seule faute, dont le seul crime est d'être né.

Pourquoi ?

Parce qu'ils trouvent un intérêt sexuel, ésotérique, politique, financier. Tout ce qu'ils pourront y trouver. Parce que c'est bien pratique.

Et nous sommes tellement complices que nous ne pouvons même pas voir ce qui se passe. Nous sommes si intrinsèquement, si essentiellement impliqués dans cette histoire que nous ne pouvons même pas la regarder. Oui, ce n'est pas seulement la difficulté de regarder l'horreur en face qui nous arrête, c'est plus gravement encore, l'impossibilité de regarder notre propre participation passive à cette horreur qui nous arrête, qui nous empêche d'ouvrir les yeux.

Encore une fois je me retrouve à parler par énigmes... tournant autour d'un pot qui cette fois-ci, n'est pas plein de lumière et de bienfaits comme une corne d'abondance mais de sang, de sperme, de membres coupés.

L'ennemi rit de notre lâcheté. La mienne a pourtant ses limites. Mais je sais très bien que lorsqu'on veut s'adresser à la plupart des gens, il y a des sujets qu'on ne peut tout simplement pas aborder. Et je ne vois pas pourquoi je sacrifierais le bon sens à l'envie de dire. Je ne vois pas pourquoi je dirais, si c'est pour ne pas être écoutée.

Alors je m'en approche sans les rejoindre, de ces sujets-là, comme un chien qui tire sur la laisse et aboie pour signaler à son maître la présence d'un gibier ou d'un rôdeur. Votre esprit sera de toute façon mis sur une piste, même si ce n'est pas précisément celle à laquelle je pense, ça en sera une autre plus proche de vous et de votre coeur, et donc, pour l'instant, plus importante.

On ne peut faire un pas qu'à partir de sa position initiale. Aucun pas, même de géant, ne conduit à l'autre bout du monde. Je préfère vous parler où vous êtes, que vous embarquer pour une destination si lointaine que je vous perdrai à coup sûr en route ; je préfère vous parler où vous êtes que vous fassiez demi-tour : "De quoi elle parle ?... Je vais plutôt mettre les informations, ce qu'elle raconte me donne mal à la tête."

Je reviens à notre monde.

Il a fait de nous des choses parmi les choses. Choses inertes et irresponsables, poussées par des courants tellement plus grand que nous - que pourrions-nous faire ? Comment résister ? Et au nom de quoi ? Et dans quel but ?...

Comme on manque de réponse à toutes ces questions, on laisse courir. On se laisse courir, on s'agite avec les marionnettes, on trépigne et on remue, pour avoir l'impression d'avancer.

Fausse impression.

Je suis en train de lire "La France contre les robots" de Georges Bernanos. Livre écrit en 1944 mais qui parle de ce que devenait le monde à cette époque, de ce qu'il est devenu aujourd'hui. Car Bernanos avait vu juste.

Il dit :

La société de consommation dévore les hommes "un par un", elle les vide "un par un de leur moelle, de leur âme, de la substance spirituelle qui les faisait hommes."

Il dit aussi :

"Toutes les idées qu'on laisse aller toutes seules, avec leur natte sur le dos et un petit panier à la main comme le Chaperon Rouge, sont violées au premier coin de rue par n'importe quel slogan en uniforme. Car tous les slogans sont en uniforme, tous les slogans appartiennent à la police."

La différence, c'est qu'aujourd'hui les slogans se promènent en civil...

Bernanos dit aussi, à propos des hommes de 1929 :

"Ils souhaitaient en finir le plus tôt possible avec leur conscience, ils souhaitaient, au fond d'eux-mêmes, que l'Etat les débarrassât de ce reste de liberté, car ils n'osaient pas s'avouer qu'ils en étaient arrivés à la haïr. Ils haïssaient la liberté comme un homme hait la femme dont il n'est plus digne. Je veux dire qu'ils cherchaient des raisons de la haïr. Ils haïssaient ce qui leur restait de liberté, précisément parce qu'ils ne leur en restaient pas assez pour être des hommes libres, mais assez pour en porter le nom."

Et l'humanité de 2009 ?

Elle ne haît plus sa liberté, elle l'aime - mais à condition que cette liberté ne soit qu'un mot, ou une griserie, une ivresse sans conséquence. Elle ne la hait plus parce qu'elle a perdu ce dernier petit bout qui lui restait. Et maintenant, la seule chose qu'elle tienne, la seule chose à quoi elle tienne, c'est le mot.

Le mot liberté.

Quant à son conscience, ça fait longtemps qu'elle s'est torché avec...

à quoi ça sert, de toute façon ?

Ne sommes nous pas des singes ratés, dit-elle ?

Ne sommes nous pas de passage par le plus grand des hasards sur cette terre ?

Alors, l'important, c'est d'en PROFITER...

Même à 90 ans, même quand le steack n'a plus goût de steack, même quand le corps lâche de tous les côtés, même lorsqu'il n'y aurait logiquement plus rien à faire que se préparer à la mort, en PROFITER...

Jouir de ce reste d'existence, de cet ultime résidu...

Se gargariser voluptueusement de cette dernière goutte fadasse sans penser à rien...

JOUIR, JOUIR, JOUIR...

Voilà notre monde, et les prédictions pessimistes de Bernanos étaient peut-être en dessous du point où nous en sommes.

Je pourrais terminer ainsi, sur une note de pessimisme, mais c'est contraire à mes principes.

Même si vous ne voyez pas d'autre route que cette sinistre autoroute hédoniste et irresponsable, inconsciente et avide, il y en d'autres.

Pour simplifier : il y en a une autre.

Liberté n'est pas qu'un mot. Liberté n'est pas que l'ivresse que l'on ressent lorsqu'au sommet de la montagne russe, le vent siffle dans les cheveux et le wagon plonge "zioouup!", alors qu'on crie et on rie - c'est la fête, la fête foraine.
Liberté est tellement plus que ça. Tellement plus grande que ça.

Et si vous aviez goûté, ne serait-ce que du bout de la langue, à l'honneur de vivre, à l'honneur d'être libre, pour rien au monde vous ne voudriez y renoncer. Votre visage - même laid ou vieux - vous serez une consolation et un témoignage de bonne foi. Un réconfort en temps difficile. Et vos souvenirs, une source de courage.

Alors...

Ne vous découragez pas, ne renoncez pas, ne perdez pas pied dans la piscine de peinture jaune où ils pataugent en disant "Il n'y a rien à comprendre... Ne cherche pas à comprendre...", mais cherchez plutôt, du bout des pieds et du bout des doigts, quelque chose de solide, de plus solide que cette substance gluante et jaunâtre.

Cherchez la vérité.