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LA LETTRE BLEUE
(Chaque matin, une citation commentée par Lucia Canovi)


 

04 décembre 2006

Complot

Selon un auteur, "même les paranoïaques ont de vrais ennemis".

Et pourtant, il est de nos jours de bon ton de se rire de ceux qui pensent qu'il pourrait y avoir, ou qu'il y aurait effectivement, un complot de méchants. On juge cette croyance si erronée, qu'on y voit le signe d'une pathologie mentale.

Il faudrait être paranoïaque, et complètement déconnecté du réel pour s'imaginer ne serait-ce qu'un seul instant qu'un complot serait possible...

Et, suite à une campagne bien organisée, "complot" lui-même s'est chargé de connotations dérisoires, comme si un "complot" était quelque chose d'aussi fantasmatique que le Dahu ou le Yéti.

Dorénavant, le mot complot suscite le sourire, un sentiment de supériorité amusé. En effet le mot fait penser à ceux qui croient que les complots sont possibles, et ceux qui croient que les complots sont possibles suscitent eux-mêmes un mépris amusé : faut-il être bête pour s'imaginer de telles billevesées...

Pour savoir ce qu'il en est vraiment, revenons au dictionnaire.

Complot : "Dessein secret, concerté entre plusieurs personnes, avec l'intention de nuire à l'autorité d'un personnage public ou d'une institution, éventuellement d'attenter à sa vie ou à sa sûreté."
ou :
"Résolution concertée secrètement et pour un but le plus souvent coupable."
ou :
"Entreprise formée secrètement entre deux ou plusieurs personnes contre la sûreté de l'État ou contre quelqu'un."

En résumé, comploter c'est se mettre à plusieurs pour organiser secrètement une action contre quelque chose ou quelqu'un.

Qu'est-ce qui dans cette définition est illogique, incohérent, absurde et donc... comique ?...

Est-ce le fait de se mettre à plusieurs pour nuire ?...

Mais la notion très officiellement juridique "d'association de malfaiteurs" ne fait rire personne...

Est-ce le fait d'organiser secrètement une action contre quelque chose ou quelqu'un ?...

Peut-être. De nos jours, il parait vraiment invraisemblable et donc ridicule que des gens qui veulent nuire, n'aille pas le raconter dans les journaux. On pense
que les méchants sont tous des imbéciles incapables de se taire, incapables de garder un plan secret pour le faire réussir.

Qui est le plus stupide, dans l'histoire ?...

[désapprobateur] : "Tu vois le mal partout..."

Ce reproche demande à être expliqué. Il ne signifie pas que le mal est localisé seulement dans certains coins bien précis, mais plutôt que les personnes qui le voient là où il est, sont un peu fatiguantes.

En cherchant bien, on trouve effectivement le mal à peu près partout (ce qui explique que le monde actuel soit un tel cauchemar).

Exemple tiré d'un journal gratuit. La photo représente un beau jeune homme vêtu de noir, au visage serein, impassible. Il tient de la main gauche, par le pied, un bébé. Et de l'autre, une épée laser comme dans Star Wars. Impossible d'interpréter l'image autrement qu'ainsi : le beau jeune homme impassible va trancher la tête du poupon.

L'article explique : il s'agit d'une oeuvre d'art, l'artiste s'est pris lui-même en photo... et le bébé n'est qu'une poupée - tiens, oui, c'est vrai : ce n'est qu'une poupée très réaliste. L'artiste ferait ainsi d'une manière "provocante" l'éloge de la société de consommation...

Au delà de l'incohérence du propos (quel rapport entre trucider un bébé et la société de consommation ?... mais peut-être qu'au fond, il y a bien un rapport, malheureusement...), cet article et surtout sa photo font passer un message.

Et oui.

Et ce message, c'est tout simplement celui-ci : tuer un bébé, c'est cool, c'est jeune, c'est branché, c'est provocant, c'est artistique.

"Non... tu exagères... tu vois le mal partout."

D'accord. Donc, il ne s'agit que d'une oeuvre d'art. Du second degré.

(Ah, le second degré... quelle magnifique invention ! un masque lisse, l'une des stratégies de pointe du Mal post-moderne. Par l'excuse en béton du "second degré", l'immonde a droit de cité, et les incitations aux meurtre se font respectables, honorables. Scream, C'est arrivé près de chez vous... Soupoudrez d'humour les messages les plus pervers, les plus violents, les plus vicieux, et vous aurez du "second degré". Rien de plus cool.)

En fait, nous vivons dans le monde de Candy, où tout le monde est très gentil.
Et le mal n'existe pas.

03 décembre 2006

Les idées, la personnalité

Les tests qui promettent de cerner notre personnalité profonde sont nombreux. Ils oublient de dire que "notre personnalité profonde" change comme un caméléon en fonction des idées qui sont les nôtres.

Lorsqu'on croit CECI, on se met à militer, à s'habiller d'une certaine manière, à parler de telle ou telle façon.

Lorsqu'on se met à croire CELA, on arrête de militer, on rencontre d'autres gens, on fait d'autres activités, on change la couleur de ses cheveux, on parle d'une toute autre manière.

Notre personnalité n'est pas stable. Les idées auxquelles nous croyons la modèle. Et dès qu'on change d'idée, notre personnalité change avec.

Si les féministes sont (souvent) si agressives, ce n'est pas parce qu'une agressivité naturelle les a poussé à devenir féministe, mais inversement parceque les idées féministes ont modelé leur comportement dans un certain sens.

Même chose pour les islamistes radicaux, les anarchistes radicaux...

Les idées travaillent en continu, à la manière de petits maçons invisibles, selon un plan bien précis. Elles déconstruisent et reconstruisent à leur image la personnalité de celui (ou celle) qui les croient.

Les gens s'imaginent qu'ils décident de leur style vestimentaire, de leurs choix ; c'est faux. Ce sont leurs idées qui décident pour eux. Et lorsque les idées sont fausses, les choix sont catastrophiques.

Ceux-là même qui ne croient qu'à ce qu'ils voient, qu'à ce qu'ils touchent, sont les marionnettes de leurs invisibles croyances...

"Je ne crois qu'à ce que je vois" EST un dogme, une idée.

Invisible, comme toutes les idées.

Si l'on pouvait les voir, ces idées omniprésentes, on les verrait peut-être pareilles à des jockeys montés sur le dos des gens, et les dirigeant de la bride et de la cravache.

Surface et souface

On devra toujours choisir entre l'image et la réalité, la surface et la souface.

Les paillettes du spectacle, ou le travail invisible et fécond ?

Gaspiller ses forces en parade, ou les exercer dans un but confidentiel aux silencieux témoins ?

Etre un artiste
pour s'aimer sur un grand écran en couleur,

ou travailler en tant qu'agent secret d'une force véridique et invisible, agissant sans froufrou ni décor à la création d'une nouvelle réalité ?

La polémique bruyante, les insultes et les compliments stériles, encouragements à poursuivre dans une impasse, ou... la guidée juste et secrète, l'énergie concentrée vers un but invisible et certain, lointain ? La réalité est toujours invisible, déterminante. La graine qui pousse dans la terre le fait invisiblement, à l'abri des regards, des critiques. C'est ce silence protecteur-là qui autorise toutes les germinations. Sans lui, le futur meurt aux ricanements d'un public imbécile.

Du visage enfin s'élaborer un masque, pour glisser invisible entre les grands poissons carnivores. Epouser fidèlement la trajectoire aux volutes nécessaires... chemin apparemment tortureux, réellement droit, qu'une lumière sincère a tracé à travers le chaos.

Et pourtant, qu'elle est tentante la solution de facilité ! Satisfaction superficielle à court terme pour échec programmé... Il suffit se de gaspiller en paroles vaines, de remuer les mots pour des oreilles qui n'entendent pas, et disent quand même "bouh!" ou "bravo!" - sans résultat. Faire son petit numéro... récolter quelques fleurs coupées, quelques baffes : au moins il se passe quelque chose.

Temps perdu, définitivement gaspillé.