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LA LETTRE BLEUE
(Chaque matin, une citation commentée par Lucia Canovi)


 

25 novembre 2006

Légitime défense et vengeance

Dans la bouillie mentale qui est aujourd'hui de rigueur (ou plutôt d'approximation), une confusion pas du tout anodine, lourde d'implication, s'est installée entre la "légitime défense" d'un côté, et la "vengeance" de l'autre.

Rappelons leurs définitions de base, celles qui seront peut-être oubliée demain, et qui sont en cours d'effacement aujourd'hui.

La légitime défense, c'est lorsqu'on se défend contre un agresseur qui nous attaque injustement. Par exemple, un violeur en maraude, un racketteur, un cambrioleur. Au départ - enfin, c'était ainsi qu'on a vu les choses pendant un bon nombre de siècles -, la légitime défense était légitime... comme son nom l'indique.

La vengeance par contre, c'est lorsqu'après une agression, un crime... on décide de s'en prendre à l'agresseur et de se faire justice soi-même. La vengeance a presque toujours était considérée comme illégitime, dans la mesure où elle substitue sa propre justice personnelle, anarchique et incontrôlée à la justice du pays.

Que se passe-t-il quand on mélange la légitime défense et la vengeance, comme c'est le cas aujourd'hui ?... On obtient une chose hybride et informe, vaguement répugnante, que l'on baptise au mépris de tout dictionnaire "la légitime défense de se faire justice soi-même".
Beurk.

Cette... chose... est bien évident dénoncée et pointée du doigt, puisqu'elle englobe la vengeance.

Et c'est ainsi qu'on en arrive à trouver criminel de se défendre, de protéger sa vie, sa femme ou ses biens contre les prédateurs sans scrupules qui veulent se les accaparer.

"Comment ?! Vous avez égratigné le visage de votre agresseur alors qu'il tentait de vous étrangler ?! Vous lui avait mis un coquard ? Vous avez même sauvé votre peau au dépend de la sienne ? Vous ne pouviez pas faire attention, non ?! C'est de la légitime-défense-de-se-faire-justice-soi-même, ça ! Allez, en prison, l'honnête homme ! Et la prochaine fois qu'un voyou veut vous tuer, vous saurez quoi faire : rien !"

L'élève et l'esclave, le prof et Néron

Dans nos esprits embrûmés par les spécialistes du brouillard (ceux qui savent brouiller les cartes pour tirer leur épingle du jeu, embobiner pour mieux se défiler, se faufiler), on a touillé une mélasse.

Du tyran à abattre, figure haïssable du despotisme sanguinaire et sauvage, on a pris les principales caractéristiques pour les appliquer au pauvre prof qui n'en peut mais, et qui essaie tant bien que mal, malgré tout, d'enseigner encore quelque chose à ses élèves rebelles, nouveaux Spartacus.

Tout maître est un tyran... Tout enseignant, un esclavagiste... Tout prof assoit son autorité par le glaive : voilà ce qu'on nous a doucement, lentement, progressivement appris à croire. De l'autorité légitime, celle qui se fonde sur le savoir, celle qui ne tend qu'à éclairer, éveiller, enseigner et transmettre, il ne reste plus que des ruines.

Et de l'élève, que reste-t-il ?

Rien non plus.

On l'a changé en esclave, en martyr, en victime - Cosette d'un Tenardier sadique qui veut à toute force le garder assis sur une chaise pendant une heure d'affilée. Cruauté gratuite, injustifiable.

Et lorsqu'on ne respecte plus celui qui sait, lorsqu'on ne veut même plus l'écouter, ni le suivre... que devient le savoir ?

Rien. Ou plutôt : il redevient l'ignorance.
Retour aux origines, donc. Quand la force était le droit, et qu'une tête bien vide valait mieux qu'une tête bien pleine (quant à "bien faite", on a oublié depuis longtemps ce que ça veut dire.)

23 novembre 2006

Le silence

Sortir de la cohue, se recentrer sur soi. Et ses pensées.
Le brouhaha externe entraine loin... trop loin.
C'est ici, dans l'intimité de soi, que se retrouve la sécurité et la paix. La bataille est terminée, au moins pour un temps. Pause.

Silence.

Que s'est-il passé ?... Encore un jour qui fuit comme une baignoire. Le temps s'écoule en un goutte à goutte rapide, irrépressible. Nous finirons tous ruinés, nous finirons tous au fond d'une tombe. Sans autre compagnon que...

que soi, tel qu'on a vécu.

Et cette chair active, ou fatiguée, ou les deux, reposera dans sa décomposition inexorable. Les vers mangeront d'abord les yeux.

Je voudrais tellement... Je veux tellement... Volontés et désirs s'empoussièreront sur des étagères oubliées, comme de très vieilles photocopies d'un cours oublié, inutiles.

Que restera-t-il de ces essentiels inessentiels, fugaces, lorsque l'ange viendra ?...

Que restera-t-il de ce qu'on avait pris pour le plus important, quand la loupe déformante nous sera ôtée de l'oeil ?...
Et que le silence reprendra ses droits ?

Il n'a jamais cessé, le silence, comme le bruissement sourd de l'océan derrière les rires et les cris des vacanciers insouciants. La nuit le libère, la nuit déblaie ce qui encombrait son passage. La vérité aura son heure, car elle l'a toujours eu, en secret, sous le bruit.

Et que regretterons-nous, à cette heure ?...

19 novembre 2006

Obscurantisme

Nous vivons une époque obscurantiste.

Obscurantiste : le savoir n'est plus divulgué ; on décourage ceux qui l'ont (les professeurs par exemple) de le donner à ceux qui ne l'ont pas.

Obscurantiste : l'autorité légitime que devrait conférer la connaissance approfondie d'un domaine est niée ; tout pouvoir fondé sur le savoir est vécu comme un abus, une tyrannie inadmissible.

Obscurantiste : les médias n'accordent strictement aucune valeur à la connaissance. Etre jeune, riche, mince et beau/belle, voilà l'important. Le reste on s'en fout.

Obscurantiste : les véritables intellectuels sont ignorés et les pseudo-intellectuels, ânes tapageurs et lèche-bottes à la solde d'un parti ou d'une idéologie dominante, sont célébrés.

Le problème vient peut-être - entre autre - que la "démocratie" ou "les droits de l'homme" ont changé de définition.

"Tous les hommes naissent libres et égaux en droit" signifiait au départ que tous les hommes naissaient égaux en droit, mais pas égaux en capacités ; maintenant cela signifie qu'ils naissent et demeurent égaux en capacité intellectuelle, culture et savoir.

Ce qui fait que l'opinion irréfléchie de quelqu'un qui n'a jamais étudié la question, est considérée comme ayant une valeur égale à celle de quelqu'un qui s'est renseigné sur la question, ou même à celle d'un spécialiste de la question.

Certes, lorsqu'il s'agit de foot, on sait encore que tous les homme ne sont pas égaux de fait, même s'ils sont égaux de droit : il y en a qui jouent bien, d'autres très bien, d'autres qui jouent très mal, d'autres qui ne jouent pas du tout et qui s'en foutent.

Mais dès qu'il s'agit de réflexion, de discernement, de logique ou de raisonnement... Zidane ne vaut pas plus que ma grand-mère ; les surdoués ne valent pas plus que les sousdoués ; ni la lecture, ni la recherche, ni la réflexion ne font la moindre différence.
Dans notre monde post-moderne, personne n'est plus renseigné, plus réfléchi, plus intelligent que personne ; celui qui oserait prétendre qu'il y a une différence de profondeur entre les idées de Montaigne ou de Proust d'un côté, et celles de n'importe quel élève particulièrement nul de 4ème de l'autre, serait un méchant élitiste rétrograde, hostile à la démocratie.

Car la "démocratie", ce n'est plus le gouvernement du peuple par le peuple, c'est l'égalité des zéros.

Le raisonnement (plus ou moins explicite) est le suivant : si plus personne ne sait rien, le savoir aura perdu tout intérêt. Donc il suffit de se donner pour objectif que plus personne ne sache rien, en commençant par les élèves, et bientôt, ce sera tout à fait normal de ne pas savoir lire...

Ce qui suppose que la connaissance - même celle complètement basique qui consiste à lire et écrire correctement - n'est qu'un vestige archaïque, prétentieux et inutile de l'Ancien Régime... un peu comme la particule "de".

Et la vérité qui se cache derrière tout ça, c'est que des crétins complètement abrutis (intelligents à la base, mais tellement incultes, voire illettrés, qu'ils sont devenus bêtes avec le temps) sont infiniment plus manipulables que des êtres conscients et intelligents.

Quand on tient la télécommande, quand on veut s'en servir, on s'efforce d'ôter les fonctions "langage articulé et logique", "réflexion" et "causalité" des cerveaux des êtres humains : un robot n'en serait plus un, s'il parvenait à penser.