Dans les années soixante-dix, une idée entièrement nouvelle, inconnue auparavant, a commencé à être semée dans les livres, les journaux, la télévision, le cinéma, la radio... partout.
Cette idée a germé, avec le temps c'est devenu un arbre immense, solidement enraciné dans toutes les têtes : L'amour doit être inconditionnel.
Actuellement, cette idée règne aussi bien dans la religion (Dieu serait "amour inconditionnel") que la psychanalyse, le développement personnel ou les manuels du type Comment élever son enfant ? ou Comment réussir sa vie de couple ? Tout le monde est d'accord : l'amour doit être inconditionnel. Tout le monde le dit, tout le monde l'explique, tout le monde l'affirme : l'amour doit être inconditionnel.
C'est devenu une évidence si universelle, que personne - mais vraiment personne - n'ose apporter ne serait-ce qu'un bémol à ce dogme. L'amour doit être inconditionnel, point final.
J'y ai cru comme tout le monde. A première vue, cela parait un principe magnifique, "l'amour inconditionnel". On imagine quelque chose de grand, de fort, de doux, d'enveloppant - quelque chose qui ne juge pas, ne condamne pas, mais accepte et englobe. Le grand confort... presque le ventre de maman.
Mais à seconde ou troisième vue, qu'en est-il ? Car on a trop tendance à juger les idées à la va-vite, sur leur apparence, prenant le joli point brillant à la surface de l'eau pour un effet du soleil, quand il s'agit en réalité de la pointe d'un iceberg invisible, vers lequel on se dirige en toute inconscience, capitaine du Titanic.
Inconditionnel, ça veut dire quoi, exactement ? Inconditionnel, ça veut dire sans aucune condition, quelle qu'elle soit. Aimer inconditionnellement quelqu'un, ça veut dire l'aimer et continuer à l'aimer, quoiqu'il fasse, quoiqu'il dise, quoiqu'il arrive.
Dans l'abstrait, c'est grandiose.
Et maintenant, deux exemples d'amour inconditionnel tirés de la réalité concrète :
- La femme de Dutroux. Elle l'a aimé inconditionnellement, et l'a aidé, par amour inconditionnel, à vivre jusqu'au bout sa passion des fillettes prépubères.
- Jacqueline B***. Elle est restée, par amour inconditionnel, avec Antoine S*** pendant cinq ans. Antoine en a profité pour la violer en compagnie de ses amis. Ils se sont bien amusés.
Est-ce que l'on doit aider son mari psychopathe à violer et tuer, par amour inconditionnel ? est-ce que l'on doit supporter patiemment les pires sévices, les pires tortures, par amour inconditionnel ? Est-ce que l'on doit aimer les tueurs en série, les pervers, les pédophiles ? Après tout, si l'amour doit être inconditionnel, eux aussi y ont droit.
Si l'on répond "non", alors il est faux que l'amour doive être inconditionnel et il faut examiner de plus près cette croyance séduisante et illusoire.
Si l'on répond "oui", c'est qu'à force d'adhérer à des idées fausses, on a perdu toute notion de la différence entre le bien et le mal - mais il n'est jamais trop tard pour récupérer son bon sens.
En fait, tout dépend des conditions.
Aimer quelqu'un à condition qu'il nous invite tous les jours au restaurant, ce n'est pas de l'amour mais une exploitation raisonnée du portefeuille de l'autre. Aimer quelqu'un à condition qu'il nous fasse sans arrêt des compliments, ce n'est pas de l'amour mais du narcissisme.
Mais il y a des conditions toutes différentes qui, elles, sont extrêmement constructives.
Qu'est-ce qui motive un enfant dans son travail ?...
C'est de voir la satisfaction du maître quand il fait des progrès, et au contraire son visage fermé quand il ne travaille pas. Ce qui le pousse en avant, c'est un amour complètement conditionnel : s'il avait droit à des sourires amicaux lorsqu'il chahute, il perdrait les trois-quart de sa motivation.
Prôner "l'amour inconditionnel" comme on le fait, revient à décourager l'apprentissage. S'il n'y a aucune carotte émotionnelle pour les faire avancer dans le bon sens, pourquoi les enfants se fatigueraient-ils ?... S'ils sentent qu'on les aimera exactement de la même façon quoiqu'ils fassent ou qu'ils ne fassent pas, qu'ils soient sages et appliqués comme de petits anges ou insupportables comme de petits diables, et quand bien même ils ne feraient aucun effort, comment pourraient-ils se construire ?...
Personne n'est prêt à faire longtemps des efforts s'il n'a aucun espoir de récompense - et en particulier, aucun espoir de récompense émotionnelle.
Pour progresser, les enfants ont besoin de sentir un amour sainement conditionnel, c'est-à-dire un amour qui diminue ou augmente selon leur comportement et leurs choix. S'ils savent que leur bonne volonté, leurs efforts pour s'améliorer leur rapportera un "bonus" affectif, ils redoubleront d'effort.
Mais cette méthode pédagogique très classique, vieille comme le monde, est aujourd'hui complètement out.
Tout le monde a la tête programmée pour trouver ce système de récompense horrible, ignoble - et tant pis pour les enfants, si au nom de l'amour inconditionnel (nouvelle divinité à la mode) ils n'apprennent rien, même pas à apprendre et qu'en conséquence, ils se retrouvent complètement démunis devant les difficultés inévitables de l'existence.
Ce ne sera pas la première fois qu'on sacrifie des êtres humains à une idée-idole...
Sur ce point comme sur bien d'autres, un adulte n'est qu'un enfant pour qui le temps a passé.
On ne fait pas de progrès seulement "pour soi-même", indépendamment de tout contexte extérieur. On ont besoin de savoir que quelqu'un d'autre veut qu'on progresse, est heureux dès qu'on progresse, et sera mécontent si l'on régresse.
Petie illustration autobiographique : j'ai un mari adorable qui me pousse sans arrêt à faire des progrès. Il ne me laisse jamais me reposer sur mes (maigres) lauriers, ni dire ou croire que "je suis comme ça depuis toujours, alors ce n'est pas maintenant que je vais changer". C'est grâce à son amour intelligement conditionnel que j'avance : je sais qu'il m'aime d'autant plus qu'il me voit forte, courageuse, et déterminée à triompher de mes faiblesses.
02 août 2006
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
2 commentaires:
Merci pour ce texte très intéressant.
J'aimerais faire une remarque sur la fin : "C'est grâce à son amour intelligement conditionnel que j'avance : je sais qu'il m'aime d'autant plus qu'il me voit forte, courageuse, et déterminée à triompher de mes faiblesses."
On peut aussi s'aimer soi-même, et avoir envie de progresser, indépendamment de l'amour d'une personne autre... :-)
très juste !
je crois d'ailleurs que j'aurai un pt de vue légèrement différent aujourd'hui.
Enregistrer un commentaire