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LA LETTRE BLEUE
(Chaque matin, une citation commentée par Lucia Canovi)


 

27 juillet 2006

La naïveté

La naïveté est plutôt mal vue, à notre époque. Le mot lui-même évoque quelque chose d’un peu bébête. Je me rappelle, lors d’une circonstance bien précise, m’être fait rabrouée avec hauteur pour ma « naïveté » intellectuelle par une spécialiste (il s’agissait de langage, justement).
Mais c’est quoi, la naïveté ?

Etymologiquement, c’est une caractéristique, ou une qualité, qui est de naissance : naïveté vient de naïf, qui vient de nativus.

La naïveté, c’est cette qualité précieuse qui fait que les enfants posent des questions si pertinentes… alors que les adultes n’en posent plus, quoi qu’ils n’aient pourtant pas trouvé les réponses.

Le fait de se questionner, et de questionner les autres, de chercher les « pourquoi », est naïf.

Le fait de garder un air entendu et un silence prudent, faussement informé (du genre « je sais, je sais ») dans des circonstances étranges où l’on ne comprend rien, est le contraire de la naïveté. Ainsi de Perceval, lorsque le Graal passe devant lui : la scène est extrêmement bizarre et pourtant, il ne pose aucune question. C’est pourquoi il échoue dans sa quête initiatique.

Voici le passage du roman de Chrétien de Troye :

« Tandis qu'ils parlaient de choses et d'autres, un jeune valet, qui porte une lance blanche qu'il tient par le milieu, sort d'une chambre ; il passe entre le feu et ceux qui étaient assis sur le lit. Tout le monde pouvait voir la lance blanche et l'éclat de son fer. Il sortait une goutte de sang à la pointe de la lance et cette goutte vermeille coulait jusqu'à la pointe. Le jeune Perceval qui vient d'arriver en ces lieux voit ce spectacle surprenant mais il se retient de demander comment cela peut se produire, car il se rappelle la recommandation de celui qui lui a appris la chevalerie : il faut se garder de trop parler. Il a donc peur, s'il pose une question, qu'on le trouve grossier et c'est pour cette raison qu'il ne demande rien. […] Perceval vit passer les jeunes gens mais il n'osa pas demander qui l'on servait dans ce graal, car il pensait toujours à la recommandation du sage seigneur. J'ai bien peur que le mal ne soit déjà fait, car j'ai souvent entendu dire qu'on peut parfois trop se taire, tout comme on peut parfois trop parler. Mais cependant, le jeune homme ne leur pose aucune question, ni pour son bien, ni pour son malheur. […] Pendant ce temps, le graal traversa encore la salle devant eux - le jeune homme ne demanda pas qui l'on servait avec ce graal. Il s'en gardait à cause du seigneur respectable qui lui avait conseillé de ne pas trop parler : ce conseil lui reste en mémoire, il ne cesse d'y penser. Mais il est plus silencieux qu'il ne devrait l'être. À chaque mets que l'on apporte, il voit le graal repasser juste devant lui, sous ses yeux, mais il ne sait pas à qui il sert. Il voudrait bien le savoir et il se dit qu'il demandera, avant de partir du château, à l'un des serviteurs de la cour. Mais il préfère attendre le lendemain matin, quand il quittera son hôte et tout son entourage. Il remet sa question au lendemain et il s'occupe seulement de bien manger et de bien boire. D'ailleurs, il ne regrette rien parce qu'on sert à la table des mets et des vins tous aussi délicieux que plaisants. »

Le jeune Perceval, un peu trop civilisé par les conseils de prudence et de politesse qu’on lui a prodigué, a donc perdu sa naïveté première : il s’interroge dans son for intérieur, mais ne pose pas de question. Au lieu d’interroger naïvement, il profite du repas. C’est ce qui lui fait rater une opportunité unique – et des opportunités exceptionnelles, on n’en a parfois qu’une seule dans sa vie.
Lorsqu’on la rate, on rate tout.

La crédulité est un défaut, mais la naïveté n’en est pas un. Au contraire : elle est intimité, contact avec la saine nature, avec le bon sens interrogatif et chercheur, questionneur, de l’enfance.
Perdre sa naïveté, ce n’est pas gagner en intelligence ou perspicacité, mais gagner en cynisme, en frilosité peureuse, effrayée (par le jugement des autres), en indifférence apathique, anesthésiée : perdre sa naïveté, c’est perdre.

Heureusement, la naïveté se retrouve, et ce n’est pas parce qu’on s’en est éloigné un temps qu’on ne peut pas renouer avec elle.

Crédule, l’enfant croit tout ce qu’on lui raconte –c’est sa faiblesse.
L’adulte se croit très malin, et cherche souvent la vérité dans ce qui lui paraît compliqué, mystérieux ou paradoxal, contradictoire… Autrement dit, l’adulte cherche souvent midi à minuit – c’est sa faiblesse.

L’idéal serait de chercher à comprendre comme un enfant, et d’examiner les réponses que le monde et les autres nous propose, avec un sens critique d’adulte.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

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Aliss a dit…

Oh ! Cela me rassure tout sa !
Je suis plutot naïve et parfois crédule.
J'ai un regard plutot innocent sur les choses et j'ai tendance a voir les gens "bon" et "gentil"...

Je le vis mal parfois je me trouve fragile et vulnérable on peu me prendre pour une fille un peu bèbète avec mes questions et en même temps j'avoue que le fait que je sois ainsi rend mes relations plus authentique car je suis une personne vraie et entière.
Je ne suis pas du genre a voir le mal partout comme certain...
Je me rend compte que je ne suis pas la seule dans ce cas et qu'il faut que j'apprenne à vivre avec sans se faire massacré.

Dona a dit…

allo

Anonyme a dit…

Cet article est extraordinaire. J'adore, il dit les vraies choses, selon moi.

Anonyme a dit…

Je suis d'accord avec vous! Restez comme vous êtes!

Adeline Bonnin a dit…

Merci !