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LA LETTRE BLEUE
(Chaque matin, une citation commentée par Lucia Canovi)


 

09 mai 2014

Encore les conséquentialistes...

Encore des considérations sur ces philosophes qui se font appeler "conséquentialistes" et que je considère pour ma part comme des petits machiavels, moins la sincérité. A vrai dire, je les trouve même pire que Machiavel, mais bon ça se discute.

Un lecteur de ce blog résume ici parfaitement le point de vue conséquentialistes :

"Une expérience de pensée a pour objectif de mettre en évidence une problématique particulière. S'agissant du dilemme du tramway, il convient d'abord de rappeler qu'il consiste en deux situations distinctes. Dans une première situation, un tramway arrive et menace de tuer une personne ou cinq personnes, selon la voie sur laquelle il est aiguillé. Dans cette première situation, la plupart des gens choisissent sans difficulté d'aiguiller le tramway vers la personne seule, pour sauver les cinq autres. Dans la seconde situation, un tramway arrive et menace également de tuer cinq personnes attachées aux rails, tandis qu'un homme obèse et d'un poids suffisant pour faire dérailler le tramway, se trouve sur un pont surplombant la voie. Dans cette seconde situation, la plupart des gens répugnent à pousser l'homme obèse. La question étant : pourquoi ? Dans l'un et l'autre cas, il y a bien le meurtre d'un innocent et la sauvegarde consécutive de cinq autres."

Primo, il est important de faire la différence entre les 2 situations en terme de réalisme. 

Une situation est réaliste (celle du train à dévier ou non) tandis que l'autre est complètement invraisemblable (comment pourrait-on être sûr que l'homme va arrêter le train ? est-ce que, dans la réalité, un homme a déjà arrêté un train par sa masse ? ça m'étonnerait. Donc en réalité dès le départ toute l'hypothèse s'écroule, puisque celui qui pousserait l'homme gros commettrait un meurtre pour rien... et je ne pense pas qu'il bénéficierait de circonstances atténuantes - sauf bien sûr si le jury était composé de philosophes conséquentialistes !)

La première situation est possible, l'autre est (telle qu'elle est présentée) aussi fictive qu'un roman de science-fiction.

Mais admettons qu'on puisse comparer une situation possible avec une situation impossible... 

Dire qu'il s'agit de la même chose c'est faire l'impasse (comme les conséquentialistes le font en effet) sur la notion absolument cruciale en morale de responsabilité.

Supposons par exemple que l'individu qui a poussé l'homme sur les rails soit jugé lors d'un procès. La famille de la victime l'accuse de l'avoir tué. Que va dire le jury ? Oui, effectivement, il a assassiné un innocent, sous le prétexte ou si vous préférez la raison qu'il voulait en sauver d'autres. Mais comme le bien n'efface pas le mal, le fait de sauver cinq personnes ne donne pas le droit d'en tuer une autre. 

(A noter que certaines personnes qui pratiquent la magie et les sacrifices humains raisonnent de cette manière : elles tuent d'un côté, puis pour rétablir un quelconque équilibre karmique, elles font des dons importants à des organisations caritatives... ce sont des conséquentialistes à leur manière, qui croient que l'important, c'est que l'un dans l'autre on fasse autant de bien que de mal, ou plus de bien que de mal.)

Supposons maintenant que l'individu qui a dévié le train soit jugé lors d'un procès. La famille de la victime l'accuse de l'avoir tué. Que va dire le jury ? Que, compte tenu des circonstances, il a fait ce qu'il a pu. Et, surtout, que la personne qui est la plus directement responsable de sa mort, c'est le mécanicien qui ne s'est pas occupé de vérifier les freins du train. 

Autrement dit, la responsabilité n'est pas du tout la même.

Dans un cas, le responsable de la mort de l'homme, c'est indiscutablement l'homme qui l'a poussé.
Dans un autre cas, le responsable de la mort de l'homme, c'est plutôt celui qui n'a pas réparé les freins et/ou qui les a sabotés. L'homme qui dévie le train a cherché à sauver les cinq hommes, il n'a pas cherché à tuer l'homme seul ; l'homme qui pousse le gros homme a cherché (soi-disant) à sauver les cinq hommes en TUANT le gros homme. 

Autrement dit, les intentions et donc les responsabilités ne sont pas les mêmes dans les deux cas.

Dans le premier cas, on a quelqu'un qui fait de son mieux compte tenu des circonstances (celui qui dévie le train). Il n'a l'INTENTION de tuer personne. Son intention est d'éviter la mort de cinq personnes. Et dans la mesure où il ne veut tuer personne, il n'a pas commis de meurtre. A la limite, il a commis un homicide involontaire, mais compte tenu des circonstances, tout le monde comprend son geste et il est acquitté.

Dans le deuxième cas, on a quelqu'un qui VEUT tuer quelqu'un. L'intention de meurtre est évidente. En poussant cet homme sur la voie, il a commis un meurtre. Il en est responsable, autrement dit coupable.

Les conséquentialistes s'efforcent par tous les moyens de gommer la notion cruciale de responsabilité, et pourquoi ? Pour légitimer (sous certaines conditions dans un premier temps, puis sous de moins en moins de conditions, enfin c'est ce que je me permets de supposer) le meurtre de personnes innocentes.

J'attire aussi votre attention sur l'arrogance des conséquentialistes, qui prétendent mieux savoir que tout le monde ce qui est moral et ce qui ne l'est pas, ce qui est bien et ce qui est mal... A peu près tout le monde est d'accord pour dire que les deux situations sont différentes, mais eux savent mieux que tout le monde ! 

Autre remarque : les conséquentialistes prétendent que ceux qui ne raisonnent pas comme eux et qui se fient à leur conscience (rebaptisée par eux "intuitions morales") sont des êtres irrationnels qui se laissent manipuler par leurs émotions au lieu d'évaluer objectivement ce qui est bien et ce qui est mal.

Mais, dans leurs "expériences de pensée", ils ne se demandent jamais ce qu'on devrait faire si on était soi-même ce gros homme au-dessus du tramway. Si vraiment, ils cherchent à minimiser le mal et maximiser le bien, ils devraient aussi envisager cette hypothèse, et en conclure qu'on devrait sauter pour sauver la vie des cinq personnes.

Pourquoi, en effet, se laisser paralyser par une préférence toute émotionnelle et narcissique pour sa propre personne ?

Un vie, disent-ils, en vaut moins que cinq... donc soyons logique, soyons conséquent, et sacrifions-nous pour sauver la vie des cinq innocents.

Ah non, ça bizarrement ils n'y pensent jamais, et ils ne demandent jamais à personne d'y réfléchir. Tout ce qui les intéresse, ce sont les histoire où il "faut" tuer quelqu'un pour en sauver d'autres. N'est-ce pas bizarre ?

Encore plus significative est leur manière d'éviter systématiquement les mots "assassinat" et "meurtre". Ils trouvent toujours de gentils euphémismes (sauf quand il ne s'agit PAS d'assassinat ou de meurtre ! alors là, oui, ils parlent d'assassinat et de meurtre...)

Par exemple, dans leur histoire du chirurgien qui se demande s'il doit tuer un patient pour en sauver cinq (en leur greffant ses organes) ils évitent soigneusement le mot "tuer" et disent seulement "faut-ils qu'il prélève ses organes" ?

Autrement dit, ils cherchent toujours à gommer le fait qu'ils s'agit de MEURTRE.

Pourquoi ?

Parce que s'ils le disaient clairement, les gens refuseraient encore plus massivement de croire que c'est "bien" de tuer une personne pour en sauver cinq.

J'aimerais aussi (tant qu'à faire des expériences de pensée) qu'ils nous demandent d'imaginer le point de vue et les pensées du gros homme qu'on pousse sur la voie, au moment où il en tombe (ou après, dans l'au-delà) et aussi les pensées du patient qui surprend son médecin en train de dire à un autre médecin : "il a exactement les organes qu'il faut pour M Machin, Madame Bidule, etc. je pense qu'il faudrait les lui prélever, car en fin de compte, comme ça on sauvera cinq personnes. Une vie vaut moins que cinq."

Que penserait le patient qui est venu à l'hôpital pour se faire soigner, et qui s'aperçoit que son médecin veut le tuer ou si vous préférez le sacrifier (sans lui demander son avis bien sûr) pour sauver d'autres vies ? Que dirait-il pour faire changer son médecin d'avis ?

Si les conséquentialistes étaient de bonne foi, ils demanderaient de réfléchir à ces questions-là aussi... mais ils ont un but bien précis, qu'ils cachent sous un programme extrêmement vague "on veut faire réfléchir les gens", et ce but bien précis, c'est de rendre le mal encore plus populaire qu'il ne l'est.

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